Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud
L'écrivain établit d'emblée un parallèle entre le deuil de Camus "Aujourd'hui, ma mère est morte." et le sien, celui de son frère. Le cheminement du deuil est stoppé par l'amertume face au colon. Le reproche est toujours le même : le constat de n'avoir pas droit à l'Humanité. Son frère, dans l'anonymat, en plus d'avoir perdu la vie, a perdu jusqu'à son existence. Sans prénom, sans famille, il est somme toute un dommage collatéral de la colonisation.
Plus qu'une enquête policière, il s'agit d'une réhabilitation suite à l'injustice : l'assassin a eu son roman, pas la victime oubliée de tous. Une quête de sens, une volonté de comprendre ce geste gratuit : on ne sait pas trop s'il s'agit d'une métaphore du suicide de Meursault, d'une insolation, d'un crime passionnel ? Le parallèle avec l'Etranger se poursuit dans la deuxième partie suite à l'arrestation. Outre l'attente, l'absurde est souligné puisqu'on reproche au personnage principal non pas le crime en lui-même mais le mauvais timing de celui-ci, à 2h du matin, le jour de l'Indépendance. Il aurait fallu tuer le blanc un peu plus tard dans la journée...
Quatrième de couverture : Il est le frère de "l'Arabe" tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du XXème siècle. Soixante-dix ans après les faits, Haroun, qui depuis l'enfance a vécu dans l'ombre et le souvenir de l'absent, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans l'anonymat : il redonne un nom et une histoire à Moussa, mort par hasard sur une plage trop ensoleillée.
Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. Soir après soir, dans un bar d'Oran, il rumine sa solitude, sa colère contre les hommes qui ont tant besoin d'un dieu, son désarroi face à un pays qui l'a déçu. Etranger parmi les siens, il voudrait mourir enfin...
Hommage en forme de contrepoint rendu à l'Etranger d'Albert Camus, Meursault contre-enquête joue vertigineusement des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l'identité. En appliquant cette réflexion à l'Algérie contemporain, Kamel Daoud, connu pour ses articles polémiques, choisit cette fois la littérature pour traduire la complexité des héritages qui conditionnent le présent.
Pour aller plus loin : Je vous propose pour ceux qui l'ont déjà lu, une deuxième lecture de l'Etranger d'Albert Camus en s'ouvrant à un autre point de vue, celui de la victime, peu évoquée lors de l'étude de ce grand classique de la littérature française.
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