Les affinités électives, Goethe
Résumé : Il s'agit de l'histoire d'un couple marié et heureux, Charlotte et Édouard, dont la tranquille routine se trouve bouleversée par l'irruption dans leur vie de deux personnages, le capitaine et Odile, la nièce de Charlotte. Jusque là, tout allait très bien dans la vie conjugale recluse et la quiétude bucolique pour nos deux protagonistes. "L'Enfer, c'est les autres" disait Jean-Paul Sartre. Pour vivre heureux, vivons cacher. Il est vrai que l'ouverture sur le monde extérieur, sur le "monde urbain" avec les travaux d'aménagements de leur jardin, va sceller le basculement de leur quotidien. La négociation commence pour faire accepter à l'autre l'intrus qui va s’immiscer dans leur vie. L'arrivée du capitaine représente un élément perturbateur du couple. Formant désormais un triangle amoureux, Charlotte se retrouve écartée par le duo d'amis. Il est frappant de constater que le débat sur la définition des affinités des éléments chimiques forme une analogie de la trame romanesque. Le capitaine en explique le principe à Charlotte, lui accordant plus d'attention que son époux, développe l'argumentaire de l'attirance chimique, même des éléments contraires, qu’Édouard développe leur séparation par le phénomène de répulsion. Loin d'être dupe de cette conversation, Édouard suggère l'arrivée d'une quatrième personne, afin que Charlotte se sente moins seule et précipite ainsi la fin de leur relation de couple. Dans ce livre, les affinités entre passions s'y trouvent expliquées à la
manière d'un principe chimique. Plus précisément, c'est un processus
littéraire qui est décrit, celui par lequel un auteur emprunte à la
réalité scientifique un matériau pour construire sa propre fiction. Il y a des natures qui se rebutent naturellement où aucun contact ne
peut les unir (comme l'eau et l'huile) d'autres s'attirent spontanément
de manière irrépressible (dans le récit, Édouard et Charlotte forment un
couple chimiquement harmonieux).
Quatrième de couverture : Dans cette situation sans espoir, que servirait-il de rapporter les efforts de toute sorte dont s'étourdirent Edouard, l'épouse, l'ami, le médecin ? Enfin on le trouva mort... Ce coeur, en proie naguère à une agitation sans bornes, avait trouvé un imperturbable repos ; et, comme il s'était endormi en pensant à une sainte, on pouvait sans doute le qualifier de bienheureux. Charlotte lui donna sa place auprès d'Odile, et ordonna que personne ne serait plus déposé dans ce caveau.
Les amants reposent donc l'un près de l'autre. La paix flotte sur leur sépulture. De la voûte, les fraternelles image des anges abaissent sur eux la sérénité de leurs regards, et qu'il sera aimable l'instant où ils se réveilleront ensemble !
Mon avis : La lecture de ce roman peut se faire à plusieurs degrés : divertissante (une banale histoire d'amour et d'adultère avec un chassé-croisé de deux couples), sociologique et culturelle (une description de la Prusse au XIXème siècle) et philosophique (plusieurs questions s'articulent autour de l'opposition cœur/raison et nature/culture). La préface de Michel Tournier en résume parfaitement les différents aspects : le tableau de la société aristocratique d'une principauté allemande au début du XIXème siècle. A travers la description de ces mœurs, Goethe interroge le concept du mariage, lui qui y était opposé et qui n'y a cédé que sur le tard, après une expérience de mort imminente. En ce sens, le personnage de Courtier, ancien pasteur, se fait l'ardent défenseur des liens sacrés du mariage et s'oppose aux conceptions plus libertines et notamment à celle du "mariage test" que représenteraient Charlotte et Édouard (mariés en secondes noces) et qui auraient conclu comme un "CDD" en attendant leur troisième union qui elle, serait la "bonne". Les amants retrouveraient donc une place légitime aux yeux de la société. Conception qui serait admise si le divorce l'était. Or, dans cette société bien-pensante, la religion occupe une place importante.
Dans la seconde partie du roman, l'amour sacré est lié au culte des morts (notons que lorsque Goethe commence la rédaction du roman, sa mère décède). Le pendant angélique d'Odile (image littérale de la Vierge Marie) opposée à la figure démoniaque de Lucienne dont les mondanités et la superficialité semble méprisée de l'auteur. Ici, il évoque les lois profondes qui dictent les sentiments, quasi irrationnels. On ne peut comprendre ou nier les sentiments amoureux. Le cœur, opposé à la raison ? Quelle est la portée de cette histoire d'amour ? Un banal conflit entre le devoir conjugal et l'amour adultère, sentiment éphémère ? Il ne s'agit pas que d'un débat sur le mariage mais d'un roman qui s'interroge sur l'Amour comme sentiment chimique, un sentiment fatal qui conduit à une destinée tragique, qui conduit toujours au malheur et à la mort. Ceci dit, le lien entre Éros et Thanatos est souligné par la parabole de l’Étrange Histoire, mise en abîme de l'intrigue des protagonistes. C'est là qu'intervient le concept de nature et de culture. L'éducation joue un rôle primordial dans les romans de l'époque en mettant en garde les jeunes filles des dangers occasionnés par des passions trop violentes comme dans l'Éducation sentimentale de Gustave Flaubert. La nature, c'est l'incontrôlable mouvement du cœur quant l'institution du mariage représente la société, une structure qui s'efforce de mettre bon ordre à la nature de l'homme. Goethe ainsi rapproche ce que la culture a réussi, notamment avec la notion de sainteté du mariage chrétien à la contre-nature de l'homme avec son inconstance habituelle. L'adultère paraît ainsi d'autant plus "naturel" au vu de ces éclaircissements. La nature est imprévisible, tout comme l'homme dans son évolution : tout
est affaire d'occasion puisque la vie est une affaire de rencontres
interpersonnelles ou intersubjectives. En somme, l'homme n'a pas d'identité stable ou définitive. C'est ce que nous dit Goethe à
travers son roman. Il nous montre aussi l'impuissance de la raison à
anticiper et à endiguer le cours des affinités passionnelles. Ce huit-clos amoureux plaira à tous les romantiques.
Pour aller plus loin : Un film des frères Traviani méconnu du grand public a été adapté du roman en 1997 avec Isabelle Hupert. Je ne sais pas ce qu'il vaut, à voir ne serait-ce que pour le décor de la campagne Toscane.
PS : A l'heure où cet article sera publié, je serai mariée ^^ J'espère bien que cette première fois sera la bonne ! Les articles enrobés de rose poudré vont donc se faire moins nombreux ;)
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