Préhistoires, Jean Rouaud
Résumé : Jean Rouaud tente d'imaginer la vie quotidienne durant l'ère préhistorique, avec cette question à la clé: après la chasse, qui est chargé de dessiner l'exploit? Il évoque Lascaux, Rouffignac, etc. Pour l'auteur des Champs d'honneur (Prix Goncourt 1990), c'est le porteur de flèches, le ramasse-miettes, le petit estropié... celui qui ne pourrait pas faire de l'ombre au «grand caïd» apporteur de viandes.
Quatrième de couverture : C'est la plus belle énigme de l'histoire du monde. Pas la plus mystérieuse, la plus belle. Une litanie de splendeurs : Lascaux, Rouffignac, Niaux, Pech-Merle, Font-de-Gaume, Altamira, le Roc-aux-Sorcières. Chauvet. Cussac, devant quoi on reste bouche bée, médusé. Ceux-là. qu'on imaginait en brutes épaisses tout juste descendues du singe, qu'on habillait de peaux de bêtes et qu'on coiffait avec un clou, ceux-là en savaient aussi long que nous sur la meilleure part de nous-mêmes. Quant à comprendre ce qui leur passait par la tête, comment on en vient à s'enfoncer sous terre, en rampant parfois, pour peindre des merveilles qui échapperont au regard de la petite multitude du temps, il nous reste à l'imaginer. Le paléo-circus, ce serait donc l'histoire du premier coup de pinceau. Mais nos ancêtres n'en restèrent pas là. Quelques milliers d'années plus tard, en bord de mer, ils inventaient le premier site en ligne. Bien sûr. A Carnac.
Mon avis : Il s'agit avant tout d'une fiction et non d'un ouvrage documentaire ou historique. Elle nous permet, du point de vue interne, d'apporter une compréhension au lecteur sur le mode de vie et éventuellement l'état d'esprit de nos ancêtres. Néanmoins, il ne faut pas le prendre pour argent comptant. L'auteur ne cherche pas l'exactitude ce qui est parfois assez déroutant. Le ton est parfois familier, oral et représente le choix du titre au pluriel qui est pour ma part assez significatif de la volonté de l'auteur de nous raconter une histoire et rien de plus, pour étayer ses théories qui somme toutes se tiennent plutôt bien.
Dans le premier texte (qui est aussi le plus long), Rouaud nous raconte l’histoire d’une
bande de potes, un peu violents, un peu frustres mais profondément
attachants. On sent la volonté de l’auteur, qui connaît bien son sujet,
d’éviter le piège du didactisme pesant. Il en fait parfois un peu trop
mais la lecture est très facile. Néanmoins, l’essentiel n’est pas là :
il réside dans l’évocation d’une naissance possible de l’art, dans la
représentation des choses et des êtres par la parole et par le dessin.
L'auteur imagine une sorte de rivalité dans des clans dominés par les
meilleurs chasseurs, et des hommes plus faibles qui auraient réussi à
affirmer leur place au sein du groupe en faisant valoir d’autres
qualités que la force et la ruse. Rouaud décrit ainsi les peintures
rupestres presque comme un art libertaire et facétieux, en imaginant
deux êtres, plus chétifs que les "cadors" partis à la chasse, presque
des avortons, cachés dans une caverne, à l’abri des regards, pour donner
libre cours à leur imagination, multipliant les innovations techniques
et se vengeant (gentiment) de la domination des hommes les plus forts de
la tribu (par exemple le chef éventré par un bison !). Mais l’art
pariétal est aussi – et surtout - une manifestation du lien entre les
hommes et les animaux, qui symbolisent des facultés, une force, une
puissance (notamment l’ours, le bison, le cheval et le taureau) que les
hommes ont sans doute rêvé de s’approprier en même temps qu’ils se
vêtaient de leurs peaux…
Le deuxième texte évoque le rapport à la nature et au temps, et à la
mort. Le ton est plus grave que dans le premier texte, avec moins
d’humour mais avec un vrai émerveillement devant l’éveil d’une pensée
qui, se heurtant à la mort, s’ouvre à l’espoir d’une résurrection
incarnée par le cycle des saisons et la renaissance des fleurs au
printemps, quand la nature explose de beauté et de vitalité après la
rigueur de l’hiver. Ce regard plein d'espoir porté sur le mystère de la
mort n’est pas l’apanage de sapiens : l’homme de Néandertal, qu’on a
longtemps méprisé comme un sous-humain mal dégrossi, a, le premier, et
bien avant sapiens, enterré ses morts en les couvrant de fleurs, comme
si le cadavre mis en terre portait lui aussi la promesse d'un
printemps….
Le troisième texte est consacré au site de Carnac. Rouaud évoque avec
beaucoup humour la déception de Flaubert qui, lors de son voyage en
Bretagne, fit son Pécuchet et n’y vit que de grosses pierres mais Rouaud
prend le temps de s’immerger dans les alignements de pierres, rangées
avec méthode et soin par taille croissante selon des lignes qui suivent
la course du soleil d’est en ouest. Etait-ce une sorte de calendrier ?
Rouaud réfute avec ironie toutes les thèses supposant que les hommes
préhistoriques avaient, outre le calendrier, également inventé la
montgolfière pour connaître la date du jour mais il célèbre l’éveil
d’une pensée désireuse de marquer sa présence au monde et sa permanence,
malgré le temps qui passe, comme si les pierres témoignaient d’un
peuple se mettant en rang pour passer du jour à la nuit, et en
triompher…
Lu dans le cadre du challenge : Les classiques, c'est fantastique
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