Kaputt, Malaparte
Résumé : Correspondant
de guerre sur le front de l'Est, Curzio Malaparte campe avec une grande
finesse l'enfer dans lequel est plongée la vieille Europe. D'un dîner
ubuesque avec Hans Frank, général-gouverneur de Pologne, aux paysages
apocalyptiques d'une Russie exsangue en proie aux criminels de la
Wehrmacht, en passant par les garden-parties décadentes d'une
aristocratie romaine toute dévouée au fascisme, Malaparte scrute, en
chroniqueur implacable, les horreurs de la guerre et nous emporte dans
le récit hallucinant et halluciné de la misère du monde.
Kaputt est un livre cruel et gai. Sa gaîté cruelle est la plus
extraordinaire expérience que j'aie tirée du spectacle de l'Europe au
cours de ces années de guerre. Parmi les protagonistes de ce livre, la
guerre n'en joue pas moins le rôle d''un personnage secondaire. Si les
prétextes inévitables, n'appartenaient pas à l'ordre de la fatalité, on
pourrait dire qu'elle n'a de valeur que de prétexte. Dans KAPUTT la
guerre vaut donc comme fatalité. Elle n'y entre pas autrement. Je puis
dire qu'elle n'y entre pas comme protagoniste, mais comme spectatrice,
dans le sens où un paysage est spectateur. La guerre c'est le paysage
objectif de ce livre.
Quatrième de couverture : Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle
étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les
têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de
la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage.
Dans les yeux dilatés on voyait encore briller la terreur comme une
flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement
cabrés émergeait de la prison de glace... Les soldats du colonel
Merikallio descendaient au lac et s'asseyaient sur les têtes des
chevaux. On eût dit les chevaux de bois d'un carrousel.
Mon avis : L'histoire se déroule débute en 1941 et se termine en 1943 à Naples. Avec ce roman autobiographique publié en 1944, Malaparte
offre l'occasion d'évoquer les relations assez particulières de la
Roumanie et de l'Italie. Ici il nous livre un autre pan de la seconde
guerre mondiale en relatant ce qu'il a pu voir en Europe de l'Est. Est-ce
un roman ? Un témoignage ou une affabulation ? Kaputt est un abîme
bouleversant et putréfié d’où sortent des rêves hallucinés, des visions
spectrales et parfois sublimes, le récit du naufrage de l’humanité, de
l’horreur de cette guerre qui semble être un hiver éternel dans les
terres de Russie, de Pologne, d’Ukraine, de Roumanie et de Finlande. Kaputt
fait coexister l’horreur immonde et la terreur des ghettos et des
massacres avec la beauté charnelle ou froide des paysages du nord, les
dîners luxueux envahis par la putréfaction des dirigeants allemands et
de leurs alliés, les diners de l’aristocratie étiolée et humiliée –
spectacles décrits avec la sensibilité et le réalisme de toiles de
Chardin, ou avec la dimension funèbre de toiles de Cranach.
Toujours très dur dans le choix des épisodes qu'il raconte, j'ai été particulièrement touchée par l'épisode très connu du progrom de Jassy et la violence crue qui y est racontée sans aucun philtre. L’expérience de la guerre et de la barbarie poussée à son point ultime dans une oeuvre que j'ai trouvée plus difficile à lire que ses autres romans.
Un autre aspect de ce livre : ses évocations mondaines, la fréquentation du
comte Galeazzo, du prince de Suède, des réceptions de Hans Frank,
gouverneur général de Pologne, où le contraste est le plus marquant
entre un homme qui donne tous les aspects de la civilisation, voire
d'une culture raffinée, et l'indigence du ghetto de Varsovie. La
seule question que l'on peut se poser est la suivante : où se situe la
frontière entre la réalité et la fiction. Les descriptions nous semblent
si vraisemblables qu'il est impossible de répondre à cette question. Et on aimerait que la majeure partie du récit soit fictive.
Pour aller plus loin : Avant de lire celui-ci, j'ai lu La Peau du même auteur, d'abord en version originale puis en version française. Comme la plupart de ses romans, il traite de la misère humaine et de la honte d'être italien, perdant, traite, et sous la reconnaissance du héros. En effet, il aborde le thème des vainqueurs et de ce qu'on leur doit en commençant son récit à Naples en 1943, lors de l'arrivée des américains et tout ce qu'ils ont pu apporter d'humiliation. Une fois encore, il ne s'agit pas tant de condamner que de dénoncer.
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