A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust

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Résumé : Le narrateur est enfin reçu chez les parents de Gilberte pour lesquels il éprouve une grande attirance. C’est chez eux qu’il rencontre Bergotte, l’écrivain à la mode qu’il admire depuis si longtemps. Ses visites chez les Swann se multiplient et Gilberte finit par trouver que, trop envahissant, le narrateur empiète sur sa liberté. Peu à peu, les relations entre les jeunes gens se tendent et ils cessent de se voir. Attristé par cette séparation, le jeune homme continue cependant de fréquenter les parents de la jeune fille. Avec le temps, sa peine s’estompe jusqu'à le détacher de Gilberte.
Deux ans plus tard, il part à Balbec avec sa grand-mère pour se soigner. D’abord déçu par la ville et l’hôtel, il finit par s’habituer. Sa grand-mère rencontre une amie d’enfance, Mme de Villeparisis, qui présente le narrateur à son neveu Saint-Loup. Après un premier contact très froid, les jeunes gens deviennent amis. Le narrateur retrouve également un ancien ami, Bloch, lui aussi en villégiature à Balbec, puis il fait la connaissance du baron de Charlus, oncle de Saint-Loup, au comportement étrange. Son attention est attirée par une bande de jeunes filles joyeuses et insolentes. Grâce à Elstir, le célèbre peintre qui séjourne près de Balbec, il parvient à les rencontrer et tombe amoureux de l’une d’elles, Albertine. Ce qui ne l’empêche pas de ressentir parfois une certaine attirance pour d’autres jeunes filles de la bande. Un jour qu’il tente d’embrasser Albertine, celle-ci le repousse durement, le laissant fâché. La fin de la saison arrive et les jeunes filles quittent Balbec avant qu’à son tour, le narrateur rentre à Paris.

Mon avis : Après la lecture Du côté de chez Swann, je pensais lire ce tome un peu plus tôt mais il faut lire Proust à tête reposée, aussi le challenge du mois de septembre était l'occasion de m'y remettre. Voici le second volet de " A la recherche du temps perdu " paru en 1919, l'année de la consécration pour Marcel Proust qui gagna le prix Goncourt.Nous retrouvons donc nos personnages quelques années plus tard. Dans ce tome, il est bien évidemment toujours question d'amour et de jalousie mais c'est aussi l'occasion pour notre narrateur d'autres grandes réflexions sur le temps ou encore sur l'oeuvre littéraire. Après avoir présenté le milieu social dans lequel il évolue, cette fois-ci, nous avons beaucoup moins de descriptions spatiales. Le style a également évolué et ressemble parfois à des maximes, telles celles de Lamartine qu'il cite parfois. Nous avons également droit à l'introduction de nouveaux personnages comme Albertine et son éloquence particulière. Le narrateur entre dans l'époque troublée de l'adolescence. Et Proust, en deux parties elliptiques, nous montre les changements qui surviennent en lui, d'abord par sa liaison avec Gilberte, la fille de Swann, puis avec une saison passée au bord de la mer, à Balbec, station balnéaire imaginaire située « entre la Bretagne et la Normandie ».
L'adolescence, c'est la découverte des filles, bien entendu. Le roman est marqué par deux figures féminines majeures, Gilberte Swann et Albertine Simone. En une scène formidablement symbolique (comme Proust sait si bien en peupler son roman), le narrateur reçoit une lettre signée par Gilberte ; mais il a du mal à reconnaître la signature de celle-ci : le G et le I se combinent pour former une sorte de A, et le E final s'étire interminablement. Vous l'aurez compris, le prénom Gilberte se transforme en Albertine, ce qui annonce la suite des événements. La première partie du roman est donc en grande partie consacrée à la liaison qu'entretien le narrateur avec Gilberte, et cela permet à Proust d'étudier en profondeur la naissance, l'évolution et la fin du sentiment amoureux. Avec un pessimisme à peine dissimulé derrière l'élégance de son écriture, Proust démonte littéralement le romantisme amoureux. Ici, pas de coup de foudre ou de sentiment qui durerait toute la vie. L'amour provient de nous, et doit retourner à nous. C'est un sentiment égoïste issu de notre imagination (une imagination fortement nourrie des stéréotypes littéraires) que l'on tente de reproduire surtout pour qu'il nous soit rendu. C'est notre image glorifiée que l'on cherche dans le regard de l'autre, de même que ce n'est pas tant l'autre que l'on aime mais une représentation que l'on s'en fait, en lien avec notre conception de l'être idéal. On atteint là un des principes essentiels du roman : notre incapacité à connaître les autres. D'abord parce que notre regard est constamment déformé par nos émotions, nos sentiments. Nous ressentons avant de connaître. Notre première connaissance est sensitive, pour ne pas dire sensuelle. Au passage, il faut dire un mot de toute cette foule qui traverse le roman. Le découpage du roman en deux parties permet à Proust non seulement de changer d'époque, de changer de personnage féminin, de changer de lieu, mais aussi de société. Certes nous sommes constamment dans une élite sociale, mais la première partie vise plus les salons mondains parisiens très bourgeois (dans la droite ligne d'Un Amour de Swann, par exemple) alors que la seconde partie s'attarde plus sur une certaine aristocratie (avec le personnage de Saint-Loup et de son oncle Charlus, Mme de Villeparisis, la Princesse de Luxembourg...). Toute cette foule crée un monde à part entière, un monde clos dans lequel il est formidable de se mouvoir.  

A l'ombre des Jeunes filles en fleurs regorge de ces expériences où le narrateur imaginait quelque chose ou quelqu'un avant de le ou la connaître et ressent alors de la déception. La joie de découvrir La Berma, l'imagination qui court autour du nom de Balbec (surtout à la fin du Côté de chez Swann) et de son église, les fantasmes dont il pare Albertine... Le roman décrit constamment ce processus qui part de l'imagination pour aller à la réalité, une réalité qui paraît toujours décevante de prime abord tant elle est moins riche que la virtualité.

Pour aller plus loin : Je vous conseille une nouvelle fois pour ceux qui ne l'aurez pas entendue la série de Podcast sortie sur France Culture de cours du Collège de France par Antoine Compagnon qui est aussi un spécialiste de Proust. Un peu difficile à suivre pour les néophytes mais néanmoins très intéressant. Proust : romancier ou essayiste ? Vous m'en direz des nouvelles.

Lu dans le cadre du challenge : Les classiques, c'est fantastique

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